Il y a
10 ans,
je venais de crĂ©er ce blogue. À cette Ă©poque, je m’apprĂŞtais Ă soutenir une thèse
dans un domaine dérivé de l’intelligence artificielle et je me posais des questions sur
mon avenir. Dix ans plus tard, je suis toujours autant intéressé par l’intelligence artificielle
et mon métier d’enseignant et chercheur me permet de faire de jolies rencontres,
comme revoir le mois dernier lors d’une conférence quelqu’un qui
avait été l’auteur d’un essai fondamental sur l’IA que j’avais lu avec passion
dans mes premières années d’études universitaires,
puis, bien des années plus tard, avait été un de mes professeurs du temps où j’étais encore un étudiant parisien,
et qui est désormais un
collègue. Il m’avait alors confié qu’il
devait participer en tant qu’invité aux dernières Utopiales
afin d’intervenir sur une table ronde dédiée au sujet
des morales humaines et lois robotiques dans l’œuvre d’Isaac Asimov...
En mars 2012 s’était dĂ©roulĂ© Ă Lyon le sommet europĂ©en de robotique «
InnoRobo ».
Mon intérêt pour l’intelligence artificielle (l’IA) et
la robotique ne date pas d’hier : tout jeune adolescent, j’étais dĂ©jĂ
fascinĂ© par les œuvres de science-fiction Ă©voquant des crĂ©atures artificielles,
qu’il s’agît de grosses machines avec de simples boutons lumineux clignotants
– comme le « Colossus »
du film
le Cerveau d’acier
de Joseph Sargent sorti en 1970 (et adapté du roman
Colossus
de Dennis Feltham Jones) –, de robots
vaguement humanoĂŻdes – comme «
Robby » de la
Planète interdite
de Fred McLeod Wilcox en 1956 –, ou
que les machines fussent si semblables aux êtres humains que seuls des tests très poussés
permettaient de les distinguer de nous
– comme les « rĂ©plicants »
dans
Blade Runner de Ridley Scott sorti en 1982
(adapté des
AndroĂŻdes rĂŞvent-ils de moutons Ă©lectriques ? de Philip K. Dick).
J’éprouvais déjà pour les créatures artificielles une réelle fascination, un mélange curieux d’admiration et de
crainte, que je dois à la tradition judéo-chrétienne et à l’héritage culturel gréco-romain qui
m’ont façonné. Or c’est peu dire que la
Bible n’est pas tendre avec ceux qui se permettent de
réaliser des créations qui nous ressemblent, car cet art est réservé à Dieu seul :
« Dieu crĂ©a l’homme Ă son image, il le crĂ©a Ă l’image de Dieu,
il crĂ©a l’homme et la femme. » (Genèse 1:26). L’
Ancien Testament est
bourré d’interdits sur la réalisation de créations nous ressemblant :
« Tu ne te feras point d’image taillĂ©e,
ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux,
qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre »
(Exode 20:4, mais on retrouve des propos similaires aussi
en LĂ©vitique 26:1, en DeutĂ©ronome 4:25 ou 5:8, etc.). À ce propos, je devrais aussi m’interroger
pour mon attrait pour les arts plastiques,
et en particulier pour la
sculpture et le modelage de l’argile...
Dans la mythologie grecque, le destin est tragique pour l’être légendaire qui aurait
été à l’origine de l’humanité, à savoir le Titan
Prométhée. Après avoir créé les hommes à partir d’argile et d’eau,
il vole le Feu de l’Olympe (symbolisant la connaissance) aux dieux pour en faire don aux hommes,
déclenchant le courroux des dieux qui l’enchaînèrent à un rocher où un aigle venait chaque jour lui
dévorer le foie.
De fait, les histoires de créatures intelligentes se terminent mal, en général, et les
créateurs qui osent braver l’interdit sont remis à leurs places de simples mortels le plus souvent de
manière très cruelle.
Les premières crĂ©atures appelĂ©es « robots », qui sont plutĂ´t
des androïdes, sont celles que l’on retrouve dans la pièce de théâtre
R.U.R. de l’auteur tchèque Karel Capek...
Je pense que ce n’est pas trop déflorer l’histoire que de dire que, à la fin de la pièce, les robots se révoltent
et finissent par anéantir l’humanité.
Les créatures artificielles qui ressemblent à l’homme, on en retrouve aussi des traces dans la tradition
juive avec le
Golem, ce « second Adam » d’argile prenant vie
par le pouvoir magique du rabbin le Maharal de Prague. En détruisant le Golem,
le rabbin aurait été écrasé par la masse de sa créature.
Dans
Frankenstein ou le Prométhée moderne, écrit en 1818 par Mary Shelley,
la science reprend la place qu’occupait auparavant la magie, et on sent dans ce texte
que l’arrivée de l’électricité permettait d’imaginer toute forme de pouvoirs,
dont celui de donner vie à une créature
composée de parties de corps humains décédés. Là encore, le récit se termine
par la mort du créateur (qui traquait sa créature qui ne faisait que semer la désolation
autour d’elle), et l’horreur inspirée par cette histoire était telle qu’une confusion
a fini par s’établir entre la créature et le créateur,
« Frankenstein » dĂ©signant pour la plupart des gens le monstre au lieu
du scientifique qui était parvenu à créer une telle abomination.
Au moment où l’homme mettait le pied sur la Lune, Stanley Kubrick sortait son film
2001, l’Odyssée de l’espace
(au scénario inspiré de nouvelles écrites par Arthur C. Clarke). Le vaisseau spatial était
assisté par une intelligence artificielle appelée
HAL 9000. Les astronautes,
comprenant que l’IA était en train de dérailler, avaient décidé de la désactiver... mais celle-ci,
ayant pu lire leurs intensions sur les lèvres, avait essayé de les supprimer.
On peut noter que la seule manifestation de
HAL, outre sa voix et son contrĂ´le du vaisseau
spatial, est son œil rouge, nĂ©cessairement menaçant, comme l’est celui du robot
Terminator
quand il est débarrassé de son enveloppe humaine.
Dans la saga des films
Terminator,
dont le premier volet avait été réalisé par James Cameron en 1984, le concept est toujours le même
– des mĂ©chants robots viennent pour dĂ©truire l’humanitĂ© et il ne reste qu’une poignĂ©e d’humains
pour lutter contre les machines – mais
l’histoire se complique par des voyages dans le temps pour revenir dans le passé afin de changer
l’issue de cette bataille. Suivant les épisodes, le
Terminator venait du futur soit pour
tuer le leader de la révolution, soit pour le protéger.
Dans les années 1970 et 1980, même si on rencontrait en Occident des robots moins méchants
(comme « R2D2 »
et « C6PO » de la saga
la Guerre des étoiles), c’était
surtout les influences orientales (oĂą le robot est vu plutĂ´t comme un compagnon
que comme une créature soumise à un maître) qui vinrent
changer le regard que nous portions sur les créatures artificielles, comme
Astro le petit robot (
Astroboy dans sa version originale japonaise)
ou « Nono » de la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e d’animation franco-nippone
Ulysse 31.
On commençait à faire apparaître des robots plus gentils à partir du moment où
ces derniers devenaient plus « humains », ou
en tout cas quand ils perdaient un peu de leur rationalité initiale au profit de l’émotion.
On trouvait ainsi « Johnny 5 », dans
Short
Circuit de John Badham, sorti en 1986, qui est un exemple intéressant de
recyclage de la créature de Frankenstein. C’est à nouveau l’électricité
qui provoque la vie en changeant un robot militaire et en lui donnant des capacités
émotionnelles que l’on ne retrouve pas chez les artefacts ordinaires. Le robot est considéré
comme étant un humain parce qu’il est capable d’avoir de la sensibilité et de l’humour.
Bien plus tard, il y eu aussi « Andrew », le robot domestique de
l’Homme bicentenaire de Chris Columbus, sorti en 1999, et adapté
de la nouvelle éponyme d’Isaac Asimov. Tout au long des deux siècles où se déroule
cette histoire, le robot Ă©volue, il subit des
modifications qui le font paraître de plus en plus humain, et ce dernier se bat juridiquement
pour chercher à être reconnu comme un être humain à part entière par l’humanité. Il y parvient au moment
où il acquiert enfin une caractéristique essentielle pour tout être vivant, c’est-à -dire la
possibilité de mourir...
C’est d’ailleurs intéressant de voir que, dans les
œuvres de fiction traitant de l’intelligence artificielle,
les oppositions de base entre la vie et la mort, le créateur et sa créature,
l’amour et la haine, ou le fait de donner la vie ou de tuer semblent perdre leurs frontières pour se mêler,
car on a un peu l’impression qu’une créature artificielle ne peut être
considérée comme intelligente que si elle est aussi vivante,
et que donc elle a aussi la capacité à mourir.
C’est ainsi que Frankenstein finit par se faire tuer par sa créature, ou que Tyrell, le créateur des
réplicants de
Blade Runner, se fait écraser la tête après
un baiser de la mort donné par une de ses créatures qui souhaitait l’obliger
à modifier son caractère génétique afin de prolonger sa durée de vie...
Ces jeux curieux entre la vie et la mort, la créature et son créateur, le fait de donner la
vie et de tuer se retrouvent chez ce même réalisateur qu’est
Ridley Scott dans d’autres œuvres cinĂ©matographiques.
DĂ©jĂ , dans le premier
Alien sorti en 1979,
on rencontre, en plus d’une intelligence artificielle assez basique
chargĂ©e de piloter le vaisseau spatial et appelĂ©e « Maman », un androĂŻde
cachĂ© parmi les humains appelĂ© « Ash ». Sans vouloir interprĂ©ter tout
de façon freudienne, il est difficile de manquer dans ce film les jeux multiples sur la reproduction
et la sexualité, avec une certaine obsession pour l’orifice buccal :
les ĂŞtres humains sont contaminĂ©s par les aliens qui leur pondent un fœtus de crĂ©ature dans la bouche,
les aliens sont pourvus d’une tête phalloïde ainsi que d’une deuxième bouche
rétractile dans leur bouche, l’androïde Ash cherche à étouffer Ripley
en lui introduisant un magazine dans la bouche en une parodie de scène de fellation,
les androïdes sont des machines dont les circuits sont alimentés par un liquide blanc et gluant...
On dirait vraiment que ces idées hantent le réalisateur américain car dans
Prometheus,
son dernier film en date, ces obsessions sur les modes de reproduction et sur l’artificiel
sont encore plus criantes : si les machines androĂŻdes
sont des créations des humains, nous, les êtres humains,
serions les crĂ©ations d’une espèce extra-terrestre appelĂ©e les « IngĂ©nieurs » ;
l’origine de la vie sur Terre serait due au sacrifice d’un Ingénieur
qui aurait mêlé l’ADN de son organisme à l’eau à travers l’action de nanorobots ;
ces mĂŞmes nanorobots seraient capables de contaminer un ĂŞtre humain pour le transformer en
créature zombiesque parvenant à féconder une femme stérile ;
un Ingénieur sorti de son hibernation cherchera à détruire
les humains que son espèce est parvenue à créer... Cette fois-ci, les monstrueuses créatures,
ce sont nous, et nos créateurs cherchent à nous détruire comme avait tenté de le faire le Docteur
Frankenstein.
Sans dresser une liste exhaustive des œuvres de fiction
(cinématographiques) où sont présentées des intelligences artificielles et leurs
incarnations sous forme de robot (j’aurais pu parler
d’
I, Robot
d’Alex Proyas qui est sorti en 2004 ou
d’
A.I.
de Steven Spielberg qui est sorti en 2001), je crois que l’une des visions les plus
réalistes mais néanmoins tordues qui soient sur les liens entre la nature et l’artificiel,
le modèle et sa copie, se rencontrent dans le du film de science-fiction franco-espagnol
Eva
rĂ©alisĂ© par Kike MaĂllo et sorti en 2011 oĂą se mĂŞlent les sentiments humains d’amour,
de jalousie et de haine dans un monde de petits génies de l’intelligence artificielle
et de la robotique.
Enfin, pour l’instant, nous n’en sommes pas encore là . Les robots que j’ai croisés au mois de
mars de cette année sont plein de potentialités en terme de capteurs et de capacités d’action
mais, à mon sens, ils sont encore loin d’être dotés de programmes pouvant leur
donner un semblant de comportement intelligent...
« Nao » d’Aldebaran Robotics
« Reeti » de Robopec
« RoboThespian » de Engineered Arts Limited
L’autre jour, dans le bus, plusieurs personnes étaient montés en groupe et,
à peine installés, se sont
interrogés sur le chemin : le Lycée Fauriel, le Cour Fauriel, et
le Centre de Congrès Fauriel où ils se rendaient...
Mais qui est donc ce fameux Fauriel ? se demandaient-ils en cherchant
parmi les passagers stéphanois une réponse.
« Euh... le gĂ©nĂ©ral Fauriel ? » me sentis-je
obligé de dire sous le poids des regards interrogateurs.
« Ah, c’était un militaire, alors ! » s’exclama
avec satisfaction l’un d’eux.
« Je crois... sous Bonaparte, il me semble... », poursuivis-je,
nageant dans une grosse mare d’incertitude.
Et ils s’en furent à leur salon, congrès, ou que sais-je, leur soif de curiosité
étanchée...
Dans le bus, pendant le reste du trajet, je me demandais quand mĂŞme si je ne
confondais pas. À peine arrivĂ© Ă mon bureau, je me suis jetĂ© sur
mon navigateur pour faire une recherche... Et je suis tombé sur
ça. Point de général
Fauriel. Claude Fauriel était bien un homme qui avait effectué son service
sous les ordres de Napoléon, mais il s’agissait surtout d’un historien et
d’un philologue, l’auteur, entre autres, d’une volumineuse
Histoire de la Gaule méridionale sous la domination des conquérants germains.
Oups, voilĂ tout un groupe de personnes qui quitteront Saint-Étienne en
croyant que Fauriel était un général d’Empire... Bah... c’est ainsi que naissent les légendes.
Ah, Vishnu la paix...
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