Mercredi, le 31 janvier 2024
Gyros et salade grecque
Je suis de ceux qui ont grandi avec la série télévisée d’animation franco-japonaise Ulysse 31.
Un dessin animé mélangeant mythologie grecque avec de la science-fiction, quelle idée géniale !
Arrivé au collège, je connaissais par cœur le Panthéon grec
et un de mes rêves était d’aller un jour à Athènes voir « en vrai » l’un des
berceaux de notre civilisation, fasciné par l’héritage que les Grecs antiques
nous avaient laissé dans la langue, la philosophie, la politique, la sculpture, le théâtre, l’architecture...
En 2002, inspiré par mes amis de la Gang de Lyon
que je retrouvais chaque semaine à un kébab du quartier du Tonkin,
je débutais ce blog, j’écrivais ma première nouvelle de fiction qui allait être publiée dans un support professionnel
et je terminais mes études en soutenant une thèse de doctorat.
Mon travail de recherche n’avait pas grand chose à voir avec mon amour pour l’Antiquité,
mais j’avais quand même réussi à glisser dans ma conclusion
la citation « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre » en lettres grecques
qui, selon la légende, ornait le fronton de l’Académie de Platon.
En 2002 sortait aussi l’Auberge espagnole de Cédric Klapisch,
réalisateur que je ne connaissais pas bien. J’avais loupé le Péril jeune, qui évoquait les années
de lycée à une période où je portais encore des couches, au début des années 1970.
Mais dans l’Auberge espagnole, j’avais retrouvé un peu de moi :
des études effectuées à l’étranger apportant leur lot de rencontres qui allaient
marquer toute la vie, une dernière année à l’université avant d’entrer dans le monde professionnel,
et j’avais en plus à peu près le même âge que Romain Duris qui incarnait le personnage principal.
En 2005, l’Auberge espagnole connut une suite : les Poupées russes.
Dans ce deuxième volet, Cédric Klapisch s’attachait à dépeindre les problèmes professionnels et personnels de
ses personnages. Cette année-là , je mélangeais encore mes deux identités, celle de l’enseignant-chercheur
(qui ne m’apportait pas beaucoup de satisfaction, vivant une sorte de creux dans mon activité de recherche)
et celle de l’auteur, critique et plasticien, avec un article sur le genre steampunk présenté
sous mon pseudonyme au colloque La Science-Fiction dans l’Histoire,
l’Histoire dans la Science-Fiction de Nice, une exposition de mes sculptures, un projet
de nouvelle et la réécriture de mon roman. Au niveau sentimental, je vivais
une histoire que je croyais être plus sérieuse que celles vécues jusque-là ,
mais qui s’achèvera brutalement dans les premiers jours de 2006.
La trilogie de Klapisch s’est poursuivie avec, en 2013, la sortie de Casse-Tête chinois.
Les personnages avaient désormais la quarantaine, avec des enfants ou des désirs d’enfants,
et la vie devenait ce fameux casse-tĂŞte avec les compromis Ă trouver entre la vie amoureuse,
la vie professionnelle et la vie familiale avec l’arrivée des responsabilités parentales.
À cette époque, j’étais devenu un jeune papa, mon activité professionnelle de chercheur
connaissait un nouveau souffle mais mon activité d’auteur ou de sculpteur s’éteignait peu à peu...
À la mi-avril 2023, c’est sous forme de série télévisée que nous pouvons suivre la suite de cette trilogie.
Cette fois-ci, Klapisch suit les aventures à Athènes des enfants des personnages qu’il nous avait fait découvrir
dans ses trois films. Mes enfants sont encore trop jeunes pour partir étudier à l’étranger, ils
ont l’âge que j’avais quand je regardais Ulysse 31, mais
la grande, collégienne, a malgré tout déjà des projets en ce sens...
Cette série résonne encore fort en moi : un peu de nostalgie, et le regard porté sur
l’avenir qui retourne au passé, en se disant que l’on a sans doute davantage vécu d’années
qu’il n’en reste encore à vivre. Et puis, ma première grande conférence en présentiel
post-confinement avait eu lieu justement à Athènes, en juin 2022, non loin de l’Acropole.
Une musique revient sans cesse dans ma tête, la chanson « O Pio Kalos Tragoudistis » :
Γεια σου, γεια σου
ποιος σου έκλεψε ας ξέραμε τη χαρά σου...
Klapisch a appelé sa série Salade grecque. Je lui aurai plutôt donné
comme titre Gyros, le fameux « sandwich grec »,
l’équivalent du chawarma arabe ou du döner kebab turc, et qui désigne
la rotation de la broche de viande qui se fait rôtir. Dans l’Auberge espagnole, des étudiants
vivaient un bouillonnement d’expériences, et dans Salade grecque, les expériences
sont vĂ©cues par leurs enfants... La boucle est bouclĂ©e, c’est-Ă -dire un cercle, qui se dit en grec : γύρος, gyros.
Mardi, le 3 janvier 2023
Réflexions en vrac sur l’année 2022
Janvier 2022, décès d’Igor Bogdanoff (il y a tout juste un an), moins d’une semaine après la mort de son frère Grichka.
Petit hommage à ceux qui m’avaient collé avec fascination devant l’écran de télévision avec l’émission Temps X, dans les années 1980,
et qui avaient popularisé la science-fiction dans les foyers de France. Dommage qu’ils aient fini par prendre la science pour de la fiction et la fiction pour de
la science et que, trop confiants dans leur bonne santé, ils aient refusé de se faire vacciner contre la Covid-19 qui allait les emporter.
Février 2022, décès du virologue Luc Montagnier, le co-découvreur du virus du sida. Il avait dû être dégoûté qu’avec le SARS-Cov-2 et ses variants,
plus personne ne parlait beaucoup du VIH qui avait pourtant fait tant de ravages dans les années 1990.
Pour les personnes de ma génération, le sida faisait que la découverte de la sexualité était liée à un risque de mort si on n’osait pas s’acheter des préservatifs.
Mars 2022, décès du journaliste et présentateur télé Jean-Pierre Pernaut.
Les rares fois où j’avais eu l’occasion de le voir dans le Journal de 13 heures de TF1, j’avais été choqué par sa capacité
à remplacer des informations que je jugeais importantes et graves par des reportages futiles sur des vieux métiers ou des coutumes oubliées
dans des lieux perdus.
Avril 2022, décès du chanteur belge Arno. Je l’avais découvert à l’occasion de sa contribution à l’album hommage à Jacques Brel (Aux Suivants).
Touchant monsieur.
Le même jour, le 26 mai 2022, décèdent Ray Liotta, Andrew Fletcher, musicien et cofondateur du groupe Depeche Mode, et Alan White, le batteur de Yes.
De Ray Liotta, je garde le souvenir de l’une des scènes les plus géniales et écœurantes que j’ai eue l’occasion de voir au cinéma, dans Hannibal,
avec ce rôle d’agent du FBI ambigu participant à un repas en tant qu’invité... et partie du menu.
J’ai été plus influencé par la musique de Depeche Mode que de Yes, même si Trevor Horn avait fait partie de ce groupe avant de produire
les musiques des groupes emblématiques de mon adolescence que furent Frankie Goes to Hollywood, Propaganda, Pet Shop Boys ou Simple Minds...
Juin 2022, décès d’Yves Coppens, le paléontologue français.
Son nom reste attaché au fossile d’Australopithèque surnommé Lucy,
appelée ainsi car l’équipe écoutait Lucy in the Sky with Diamonds, la chanson des Beatles, au moment de la découverte.
Questions sur les origines du nom de cette chanson aux thèmes psychédéliques (allusion à la drogue LSD ou inspiré par un dessin d’enfant ?),
questions sur les origines de l’humanité...
Juillet 2022, décès de Charlotte Valandrey. Pour moi, l’actrice reste à jamais la jeune révoltée de Rouge Baiser, sorti en 1985.
Le film parlait des amours malheureuses d’une adolescente dans un monde qui perdait foi en l’utopie communiste
alors qu’au même moment, dans la vraie vie, s’écroulait l’URSS et que Charlotte apprenait sa séropositivité au VIH...
Août 2022, décès du dessinateur Sempé.
Lorsque j’étais doctorant, j’étais tombé sur ces dessins que l’on retrouve
par exemple des textes et illustration du petit Nicolas faisant une thèse. Janvier 2022, décès d’Igor Bogdanoff (il y a tout juste un an), moins d’une semaine après la mort de son frère Grichka.
Petit hommage à ceux qui m’avaient collé avec fascination devant l’écran de télévision avec l’émission Temps X, dans les années 1980,
et qui avaient popularisé la science-fiction dans les foyers de France. Dommage qu’ils aient fini par prendre la science pour de la fiction et la fiction pour de
la science et que, trop confiants dans leur bonne santé, ils aient refusé de se faire vacciner contre la Covid-19 qui allait les emporter.
Février 2022, décès du virologue Luc Montagnier, le co-découvreur du virus du sida. Il avait dû être dégoûté qu’avec le SARS-Cov-2 et ses variants,
plus personne ne parlait beaucoup du VIH qui avait pourtant fait tant de ravages dans les années 1990.
Pour les personnes de ma génération, le sida faisait que la découverte de la sexualité était liée à un risque de mort si on n’osait pas s’acheter des préservatifs.
Mars 2022, décès du journaliste et présentateur télé Jean-Pierre Pernaut.
Les rares fois où j’avais eu l’occasion de le voir dans le Journal de 13 heures de TF1, j’avais été choqué par sa capacité
à remplacer des informations que je jugeais importantes et graves par des reportages futiles sur des vieux métiers ou des coutumes oubliées
dans des lieux perdus.
Avril 2022, décès du chanteur belge Arno. Je l’avais découvert à l’occasion de sa contribution à l’album hommage à Jacques Brel (Aux Suivants).
Touchant monsieur.
Le même jour, le 26 mai 2022, décèdent Ray Liotta, Andrew Fletcher, musicien et cofondateur du groupe Depeche Mode, et Alan White, le batteur de Yes.
De Ray Liotta, je garde le souvenir de l’une des scènes les plus géniales et écœurantes que j’ai eue l’occasion de voir au cinéma, dans Hannibal,
avec ce rôle d’agent du FBI ambigu participant à un repas en tant qu’invité... et partie du menu.
J’ai été plus influencé par la musique de Depeche Mode que de Yes, même si Trevor Horn avait fait partie de ce groupe avant de produire
les musiques des groupes emblématiques de mon adolescence que furent Frankie Goes to Hollywood, Propaganda, Pet Shop Boys ou Simple Minds...
Juin 2022, décès d’Yves Coppens, le paléontologue français.
Son nom reste attaché au fossile d’Australopithèque surnommé Lucy,
appelée ainsi car l’équipe écoutait Lucy in the Sky with Diamonds, la chanson des Beatles, au moment de la découverte.
Questions sur les origines du nom de cette chanson aux thèmes psychédéliques (allusion à la drogue LSD ou inspiré par un dessin d’enfant ?),
questions sur les origines de l’humanité...
Juillet 2022, décès de Charlotte Valandrey. Pour moi, l’actrice reste à jamais la jeune révoltée de Rouge Baiser, sorti en 1985.
Le film parlait des amours malheureuses d’une adolescente dans un monde qui perdait foi en l’utopie communiste
alors qu’au même moment, dans la vraie vie, s’écroulait l’URSS et que Charlotte apprenait sa séropositivité au VIH...
Août 2022, décès du dessinateur Sempé.
Lorsque j’étais doctorant, j’étais tombé sur des textes et illustrations du petit Nicolas passant sa thèse. Indémodable !
Septembre 2022, dĂ©cès de Jean-Luc Godard. Au dĂ©but des annĂ©es 2000, j’avais trouvĂ© un tas de DVD de Godard Ă petit prix et j’avais commencĂ© Ă
visionner la plupart de ces œuvres. J’avais arrêté sans trop savoir si (1) de nombreux films avaient mal vieillis,
(2) il n’y avait pas une certaine escroquerie intellectuelle dans certains de ces films artificiellement complexes ou
(3) si je n’étais tout simplement pas passé à côté d’un vrai grand truc vraiment puissant...
Octobre 2022, décès de Pierre Soulages. Pour un peintre, avoir son nom associé à une couleur, c’est un peu le top de la classe.
Il y a le bleu Klein, le noir Soulages, le jaune Poussin, le Vert meer...
Novembre 2022, décès de Christian Bobin. Je me rappelle de petits livres précieux de cet auteur que me faisait lire mon amie d’alors.
Flagrances de mots, d’images et de toutes sortes de sensations.
Décembre 2022, j’ai cessé d’être un quarantenaire.
En 2009, le publicitaire Jacques Séguéla avait dit : « Si à 50 ans on n’a pas de Rolex, on a raté sa vie ».
Il me semble plutôt que si, à 50 ans, on croit encore que des signes extérieurs de richesse peuvent être des indicateurs d’une vie heureuse ou non,
c’est à ce moment-là que l’on a raté sa vie...
t !
Septembre 2022, dĂ©cès de Jean-Luc Godard. Au dĂ©but des annĂ©es 2000, j’avais trouvĂ© un tas de DVD de Godard Ă petit prix et j’avais commencĂ© Ă
visionner la plupart de ces œuvres. J’avais arrêté sans trop savoir si (1) de nombreux films avaient mal vieillis,
(2) il n’y avait pas une certaine escroquerie intellectuelle dans certains de ces films artificiellement complexes ou
(3) si je n’étais tout simplement pas passé à côté d’un vrai grand truc vraiment puissant...
Octobre 2022, décès de Pierre Soulages. Pour un peintre, avoir son nom associé à une couleur, c’est un peu le top de la classe.
Il y a le bleu Klein, le noir Soulages, le jaune Poussin, le Vert meer...
Novembre 2022, décès de Christian Bobin. Je me rappelle de petits livres précieux de cet auteur que me faisait lire mon amie d’alors.
Flagrances de mots, d’images et de toutes sortes de sensations.
Décembre 2022, j’ai cessé d’être un quarantenaire.
En 2009, le publicitaire Jacques Séguéla avait dit : « Si à 50 ans on n’a pas de Rolex, on a raté sa vie ».
Il me semble plutôt que si, à 50 ans, on croit encore que des signes extérieurs de richesse peuvent être des indicateurs d’une vie heureuse ou non,
c’est à ce moment-là que l’on a raté sa vie...
Lundi, le 17 juin 2019
Liège, Kigali, Tunis, Londres, Montréal
Certains événements ont, pour moi, une musique bien particulière. Ainsi en est-il
dont des moments les plus perturbants qu’il m’ait été donnés de vivre.
J’ai été particulièrement frappé de découvrir que la musique du générique de la série
Netflix Black Earth Rising Ă©tait You Want It Darker de Leonard Cohen.
À mon sens, rien n’aurait pu être plus pertinent que d’associer
cette série et une musique de l’artiste canadien qui nous a quitté en 2016.
Dans la fiction, une jeune juriste londonienne, rescapée du génocide rwandais de 1994 et adoptée par une
célèbre femme procureure spécialisée dans les affaires criminelles internationales,
reprend l’enquête de sa mère qui la mène à des révélations sur ses propres origines.
Dans la vraie vie, cela se passe en Belgique, et cela remonte au printemps 1992.
Je n’avais pas encore vingt ans quand je m’étais retrouvé, à l’occasion d’un stage de fin d’études,
dans cette ville de la banlieue industrielle de Liège au bord de la Meuse où avaient grandi les frères Dardenne.
À mon arrivée ce dimanche après-midi maussade dans ce grand et triste bâtiment où j’allais passer trois mois,
j’avais été dirigé vers le responsable de l’internat.
Ce dernier m’avait posé une curieuse question : à quel étage souhaitais-je m’installer ?
Celui des étudiants français ? Celui des étudiants étrangers ?
Celui des étudiants belges en informatique ?
Je n’avais pas choisi l’étage de mes compatriotes mais celui de ceux qui étudiaient la même matière que moi.
Pourtant, c’est parmi les étudiants étrangers, ceux qui passaient comme moi leurs week-ends à Seraing,
que je me suis fait mes meilleurs amis durant cette période. Nous étions quatre garçons inséparables :
K. le Belgo-tunisien, A. le Djiboutien, I. le Rwandais et moi. Deux Noirs, deux Blancs. Deux Musulmans, deux Chrétiens.
Toutes les combinaisons de couleurs de peau et de religions étaient représentées.
K. et A. étudiaient le commerce, I. tout comme moi l’informatique, et c’est avec lui
que les liens d’amitié s’étaient les plus serrés pour durer jusqu’à aujourd’hui.
I. était le plus âgé de nous quatre, il avait une formation juridique qui l’avait poussé
à passer des concours et quitter sa région natale de Cyangugu pour devenir officier de gendarmerie dans la capitale.
Poussé par sa hiérarchie, le lieutenant avait accepté de passer trois ans en Belgique pour acquérir les
compétences en informatique dont son petit pays manquait cruellement, laissant là -bas sa jeune épouse
et son fils nouveau-né le temps d’obtenir son graduat. Pendant quelque temps, nous avions échangé
des tas de lettres et de cartes postales, I. et moi, et c’est par procuration que je découvrais
ce petit pays d’Afrique inconnu, ses paysages, sa sagesse proverbiale, complétant mes connaissances
par un essai d’ethnologie rédigé par des Pères Blancs trouvé dans la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.
Printemps 1994. Les informations à la radio avaient annoncé l’attentat ayant coûté la vie des présidents du Rwanda
et du Burundi. Quelques jours plus tard nous parvenaient les premiers échos de l’horreur. C’était un samedi ou un dimanche,
au moment du déjeuner, qu’I. avait appelé au numéro de téléphone familial. Il était encore en vie, sa famille aussi,
son accès à une arme de service le protégeant de la folie meurtrière des machettes.
Je le sentais perdu, et j’étais tout aussi perdu que lui. Sentiment absolu d’impuissance.
Été 1994. Lorsque j’avais pris pour la première fois l’avion, ce fut pour aller à Tunis, chez K., ses parents et
sa grande sœeur. Visites de lieux touristiques, de musées, moments passés à la plage, invitation saugrenue
à la résidence de l’ambassadeur lors du 21 juillet, la fête nationale belge, où l’on m’avait fait passer pour un
« Belge de Strasbourg » qui ne connaissait pas la Brabançonne.
Après-midis trop chauds à regarder le Tour de France, ou la série Angélique en soirée, avec des coupures
opérées par la censure aux moments les plus croustillants. La censure, par contre, laissait voir l’horreur
des informations. Cadavres innombrables sur les bords des chemins ou dans les rivières.
K. et moi, sidérés devant le poste, craignions de reconnaître dans les images des charniers le visage de notre ami.
La mélancolique mère de K., une Flamande qui ne s’était jamais trop bien fait à la vie en Afrique du Nord,
peignait en écoutant de la musique. Elle me fit découvrir Leonard Cohen dont je ne connaissais que Everybody Knows
pour avoir vu le film Pump Up The Volume d’Allan Moyle avec Christian Slater.
Je rentrais en France avec des cassettes audio tunisiennes de mauvaise qualité sur lesquelles
j’avais enregistré quelques albums de Cohen, dont I’m Your Man et The Future.
Les nouvelles d’I. me parvinrent de manière sporadique quelque temps plus tard, par courrier postal ou électronique.
I. avait échappé aux massacres. Il avait fui avec femme et enfant au Zaïre et s’était retrouvé dans un camp de réfugiés.
Exploité pour ses compétences informatiques par une ONG, il devait assurer la survie des siens,
venant d’être père pour la seconde fois, son autre fils étant né au camp.
La situation dans l’est du Zaïre, de précaire devenait intenable avec les signes avant-coureurs
de la Première guerre du Congo qui allait éclater en 1996.
I. et sa famille d’apatrides avaient entamé un périple dans l’est de l’Afrique, séjournant au Malawi,
en Tanzanie, à Arusha, où I. avait participé au Tribunal pénal international,
et en Afrique du sud d’où sa femme et ses enfants avaient pu s’exiler en Angleterre, alors qu’I. restait bloqué au Cap.
C’était en 1999. Je terminais mon DEA à Paris. J’avais envoyé à I. une importante somme d’argent afin de faciliter
ses démarches pour rejoindre la Grande-Bretagne. Et cela lui avait effectivement permis de retrouver sa femme et
ses deux fils à Londres où ils s’étaient installés.
Fin août 2002, convention nationale de science-fiction française à Tilff-Esneux, en banlieue liégeoise.
J’avais abandonné pour une journée la convention et mes amis de la Gang lyonnaise pour retrouver
I. que je n’avais plus vu depuis dix ans, de passage en Belgique, et qui tenait à me rembourser de l’argent prêté
alors qu’il était en Afrique du Sud. Indescriptibles retrouvailles.
Cet après-midi, à l’occasion d’un séjour professionnel à Montréal, je me suis rendu au cimetière Shaar Hashomayim du mont Royal.
En me recueillant sur la tombe de Leonard Cohen, mes pensées se figèrent d’abord sur les grandes atrocités du siècle
passé, deux génocides, celui des Juifs dans les années 1940,
mais aussi celui qui avait fait s’entre-tuer mes frères africains dans les années 1990.
Pourtant, guidées par la voix grave d’un Hallelujah s’exprimant dans ma tête par mes seuls souvenirs
auditifs, elles s’élevèrent vers les Cieux,
me faisant prendre conscience avec acuité de la beauté de la vie, qui est si belle parce qu’elle est si fragile, de l’importance de la
spiritualité et de la force de l’amour.
Lundi, le 12 juin 2017
Nice, le gâteau 100 fois bon et la Servante écarlate
En ce moment passe
The Handmaid’s Tale,
une série télévisée diffusée sur la plateforme de
VOD Hulu.
J’avais eu l’occasion de voir précédemment
La Servante écarlate, le film de Volker Schlöndorff sorti en 1990,
mais pas de lire le roman de la Canadienne Margaret Atwood dont le film et la série
sont inspirés.
L’univers dystopique est plutôt bien rendu. Il faut dire que, dans la réalité,
la montée sournoise du populisme dans le monde politique n’est malheureusement
plus aussi invraisemblable qu’elle pouvait l’être dans la fiction, en témoigne
le passage des présidents Obama à Trump aux États-Unis
(cf. la critique de
PILOTE, la chronique série).
Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de croiser Margaret Atwood.
C’était à Nice, lors du colloque « La science-fiction dans l’histoire,
l’histoire dans la science-fiction » co-organisé par
l’ami
Ugo Bellagamba, en 2005.
Margaret Atwood Ă©tait venue y parler
de sa vie
et des liens avec la science-fiction.
Lors de cette rencontre, j’étais venu y présenter un article que j’avais écrit
avec le compère Jean-Jacques Girardot sur
«Â
le Steampunk : une machine littéraire à recycler le passé ».
Nous avions conclu notre propos ainsi :
Notre article débutait par une liste, se voulant impressionnante, d’ingrédients, dont la seule
accumulation laissait présager du pire. Mais le steampunk n’est pas le Gâteau cent fois bon
(Jindra Capek, Le Gâteau cent fois bon, Flammarion, Paris, 1986),
il se bonifie avec chaque nouveau condiment, mais aussi avec chaque nouvelle façon de
l’accommoder, et se décline aujourd’hui en plus d’un parfum (...).
La référence au
Gâteau cent fois bon, un livre pour enfants dont la trame
se résume à l’idée que si l’on réalise un gâteau pour des amis,
il sera 100 fois meilleur si l’on mélange 100 bons ingrédients, avait échappé
à la plupart des auteurs et universitaires présents à ce colloque, dont
Margaret Atwood. Je me rappelle ainsi qu’au moment du dîner de gala, j’avais
dû raconter à l’assemblée cette histoire, et que cela avait fini par un véritable
sketch quand mes paroles étaient simultanément traduites en anglais par
Daniel Tron pour l’autrice canadienne.
VoilĂ pourquoi, dans mon esprit tordu, quand je regarde un Ă©pisode de
The Handmaid’s Tale, même au moment d’une scène particulièrement dramatique,
je ne peux m’empêcher de repenser au rire de Margaret Atwood lorsque j’avais
donné la recette de ce gâteau concocté par des animaux.
En effet, les pâtissiers amateurs de l’histoire, imaginant qu’en mélangeant
ce que chacun préférait (l’os du chien, le ver de terre de la poule,
l’herbe tendre de la vache, la carotte du lapin...), ils auraient dû
obtenir un gâteau merveilleux... Bien entendu, le résultat culinaire
avait déçu leurs attentes car leur mixture s’était avérée immangeable.
La morale de cette histoire ? Je ne sais pas. Tout dépend si on
l’applique aux domaines de l’humour, de la cuisine, ou à la politique...
Lundi, le 14 novembre 2016
Violence de la nature sauvage
J’aurais voulu exprimer ma tristesse de voir disparaître Leonard Cohen ou à quel point j’étais navré du résultat des élections aux États-Unis.
Mais un autre événement s’est produit ce samedi qui m’a touché de manière aussi bien physique qu’émotionnelle.
Durant le week-end prolongé qui vient de s’achever, samedi était le seul jour annoncé par les services de météo comme étant beau, c’est ainsi qu’avec la petite famille nous avions décidé de faire une balade à l’air pur dans les proches alentours de Lyon.
Alors que nous étions encore dans la commune de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, nous engageant dans un chemin de terre bordé d’habitations qui montait jusqu’à un bosquet, nous avons entendu un coup de feu.
J’avais mon fils de 21 mois dans les bras car la montée était un peu rude pour lui, mon épouse tenait notre fille de quatre ans par la main, et nous avons échangé un regard interrogateur.
Nous nous sommes arrêtés un instant afin que j’installe le petit bonhomme dans le porte-bébé de randonnée que je porte sur le dos, quand un bruissement de feuilles s’est fait entendre.
Et là , tout s’est passé très vite. Ma fille s’est mise à hurler. J’ai cru qu’elle avait pris peur en voyant un chien, mais c’est un sanglier qui a déboulé de la forêt. L’animal nous a contournés à toute allure mais il s’est soudain arrêté, découvrant qu’il débouchait sur des habitations, un terrain non familier.
Se sentant pris au piège, il a alors fait demi-tour, et j’ai craint pour la sécurité des enfants et de ma femme. Celle-ci s’est baissée pour les protéger et moi, j’ai crié pour lui faire peur.
Le sanglier m’a chargé et s’est échappé par un jardin.
Nous avons demandé de l’aide à la première personne croisée dans ces habitations qui m’a prodigué les premiers soins et qui, coup de chance, était médecin généraliste. Mon épouse s’est chargée de rassurer les enfants qui, après les cris et les pleurs, se sont mis à jouer avec ceux du médecin pendant que je me faisais soigner.
Nous avons ensuite vu un chasseur qui était à la poursuite du sanglier et qui, tenant une feuille ensanglantée, indiquait avoir touché la bête.
Nous avons rebroussé chemin et sommes rentrés à Lyon, non sans avoir au préalable alerté la mairie du danger.
J’ai passé le reste de la journée aux urgences et j’en suis ressorti avec quelques points de suture à la jambe.
Les enfants sont encore traumatisés. La grande ne voulait plus dormir seule dans son lit, craignant de voir débarquer un sanglier dans son sommeil. Mon gamin dit « peur, peur ! » et montre ma jambe en disant « Papa, bobo ! »
J’ai fait des cauchemars dans lesquels nous étions poursuivis par un sanglier qui, dans l’imaginaire des rêves, avait plutôt pris la forme d’un rhinocéros.
De cette surprenant et violente rencontre, je me demande encore si, entre les deux, l’animal sauvage affolé de quelques centaines de kilos était plus à craindre que le chasseur...
Archives
Chronologie :
Parce que rien ne vaut le fait d’avoir de bons copains et de partager avec eux des joies simples.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
Au sujet de nos amies les bĂŞtes.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
Article critique. Point de vue personnel sur une œuvre. Coup de cœur ou coup de gueule.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
>>>
Curiosités linguistiques
À propos de la langue française ou d’autres langues, dialectes et parlers rĂ©gionaux. RĂ©flexions sur les usages linguistiques de la communautĂ© francophone. Aspects insolites de la langue. Jeux de mots.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
>>>
Dessin / Arts graphiques et numériques
Dessins réalisés de manière traditionelle (crayon, stylo, feutre,
fusain, pastel, pierre noire ou sanguine, craie, plume, encre de Chine, etc.) ou traités par ordinateur à travers des logiciels d’infographie.
Curiosités calligraphiques. Ambigrammes (figures graphiques de mots devenant d’autres mots à partir d’une symétrie ou rotation). Anamorphoses. Peintures. Arts en deux dimensions.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
>>>
Événements / Grands rendez-vous
Comptes rendus ou programmes de grandes rencontres : conventions, festivals, conférences et soirées thématiques.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
Parce qu’on est le fils, le frère, le cousin ou le neveu de quelqu’un.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
De tout ce qui a trait Ă ce genre artistique oĂą intervient le surnaturel.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
>>>
Films / Télévision / Vidéo
À propos des productions artistiques essentiellement visuelles : films (court, moyen ou long mĂ©trage), animations, dessins animĂ©s, mangas, sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es, vidĂ©o-clips, etc.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
>>>
Histoires / LĂ©gendes
Au sujet de l’Histoire et des histoires. Faits avérés ou non. Mythes.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
>>>
Humour / Insolite / BĂŞtises
Impressions insolites. Histoires drĂ´les ou surprenantes. Blagues.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
>>>
Internet / NTIC / Informatique
De tout ce qui a trait aux « nouvelles technologies de l’information et de la communication ». Informatique (aspects matĂ©riels et logiciels). Internet, aspects du Web, HTML. MultimĂ©dia.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
Livres, revues, recueils de nouvelles et anthologies.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
>>>
Musiques / Radio / Audio
À propos des productions artistiques essentiellement auditives : musiques, chansons, concerts, opĂ©ras, Ă©missions de radio, etc.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
RĂ©flexions sur le devenir de la Terre ou, plus modestement, de ma petite personne...
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
Questionnaires et sondages, le plus souvent ludiques.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
>>>
Recettes / Gastronomie
De tout ce qui a trait à l’art culinaire. Recettes de cuisine. Bonnes tables. Grandes bouffes.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
Impressions et réflexions sur notre société.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
De tout ce qui a trait au genre artistique qui incorpore dans son imaginaire des réflexions scientifiques (plus ou moins poussées). Par excès, si on considère que les mythes et la magie peuvent tenir lieu de science, peut englober le genre
fantasy.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
>>>
Sculptures / Arts plastiques
Taille de pierres ou modelage, mais aussi peinture, architecture, etc. Expositions. Vernissages. Musées.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
Productions littéraires personnelles, de la
short short story Ă la nouvelle.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
Impressions à la première personne.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
>>>
Travaux d’écriture
Au sujet de l’art d’écrire, que ce soit sous forme romanesque, documentaire ou émotionnelle. Travaux personnels d’écriture en cours. Réflexions d’amis auteurs.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]
Au sujet de mon travail d’enseignant-chercheur.
[
voir les 5 derniers articles] ou [
voir tous les articles]